Interview intégrale et exclusive de Kevin Staut

5 décembre 2011 Non Par Jumpinews

Une saison difficile!

Jumpinews: Cette année 2011 fut sans doute la moins prolifique de ces quatre premières passées dans le circuit du haut niveau. Comment analysez vous cette saison ?

Kévin Staut : Effectivement ça n’a pas bien démarré ! Après une belle finale de coupe du monde à Leipzig (6ème avec Silvana de Hus) j’ai très mal entamé les coupes des nations. A La Baule, Rome et St Gall je me suis retrouvé éliminé. J’ai  pris un grand coup au moral.  C’était dur ; pas seulement pour moi mais aussi pour tous ceux qui m’entourent. 

Jumpinews: Vous semblez pourtant bien préparer vos saisons avec toute une équipe à votre disposition ?

KS : J’étais sans doute trop absorbé par le rythme des compétitions et pas suffisamment à l’écoute de mes chevaux, même si j’y mets un point d’honneur. Il y a des moments où le vent tourne et un grain de sable peut vite gripper le bon fonctionnement. Dans ces cas là, tout semble s’acharner. Il faut alors savoir se remettre en question sans tout chambouler. Les bases étaient bonnes mais ma stratégie s’était un peu emballée.

Jumpinews:Vous étiez alors le N°1 mondial depuis près de 10mois consécutifs. En y regardant de près, ces points vous les avez glanés avec peu de victoires mais beaucoup de classements. Cette ranking liste n’est elle pas un peu source d’usure ?

KS : Sans doute que cette position m’a, progressivement et inconsciemment, éloigné de mes vrais objectifs.

Jumpinews : Auriez-vous pris la grosse tête ?

KS:Non certainement pas !  Tous ceux qui sont entrés  dans les 50 mondiaux espèrent se rapprocher encore un peu plus du top 10. Quand on y est et que tous les voyants sont verts et un brin de réussite supplémentaire, cela pousse encore un peu plus à chercher la pôle position. C’est arrivé comme ça pour moi. On se dit d’abord que c’est super mais que ça ne va pas durer ! Eh puis le temps passe et au bout de neuf mois vous êtes toujours devant ! Forcément vous êtes aspiré . On a beau se dire que si un jour ça arrive, on prendra du recul…Mais vous êtes tout de même pris par le système. Ce fut sans doute le cas pour tous ceux qui sont passés par là. Ca fait partie des expériences qui forgent ! Soit vous réagissez soit vous partez vers des chemins de traverse qui ne mènent pas toujours où vous vouliez aller.

Jumpinews: Vous avez donc depuis adopté une autre vision de vos objectifs ?

Je le répète, même si c’est très appréciable, la place de N°1 n’était pas un objectif en soi. Aujourd’hui je suis n°7  et perdurer dans le top 10 ou même 20 est bien plus signifiant à long terme. Regardez un cavalier comme Ludger Beerbaum ! Toujours là avec des hauts et des bas mais il a toujours su maintenir le cap de ses objectifs, évoluant au fil du temps.

Jumpinews: Justement  votre évolution depuis 2007 avec votre entrée en équipe cadre est des plus honorable ! Vous êtes parvenu au sommet en remportant au passage un titre européen et une médaille d’argent avec l’équipe française aux jeux mondiaux de Lexington et aux championnats d’Europe de Madrid. Comment s’est faite cette ascension ?

KS : Du pire au meilleur…Cela commençait dans la douleur collective lors des championnats d’Europe à Mannheim et notre éviction des JO. Ensuite il y eu cette force collective insufflée par le duo Balanda, Elias. L’équipe s’est reconstruite, m’apportant autant que je pouvais lui en donner. Les coupes des nations sont toujours très importantes pour moi. Ce challenge collectif est la quête d’une équipe où chacun apporte sa pièce par une performance individuelle. On y joue aussi l’image de notre pays. C’est aussi très motivant pour moi.

Jumpinews: Cet enjeu national vous l’avez vécu avec Gilles de Balanda, Laurent Elias et avec l’actuel chef d’équipe Henk Nören. C’est le 3ème sélectionneur en 4 ans mais c’est aussi votre coach personnel. Comment avez-vous vécu ces changements et comment qualifieriez-vous chacun ?

Championnats d'Europe Mannheim 2007

KS: Je les considère tous les trois comme des hommes d’exception. Je ne ferai pas de graduation dans leurs qualités, chacun ayant les siennes mais il est certain que chacun d’entre eux a contribué à ce que je suis aujourd’hui !

Gilles Bertran de Balanda : L’homme de cheval par définition et un véritable compétiteur dans l’âme. Quand il repère quelqu’un qu’il estime capable d’aller plus loin il ne le lâche plus !  C’est lui qui m’a ouvert les portes de l’équipe de France élite. Il m’a donné la foi, l’envie de se battre et même si ce ne fût pas tous les jours faciles, je lui dois beaucoup!

Laurent Elias : En fait il était le premier à me repérer. Il m’embarquait alors dans les équipes jeunes  en étant adjoint de Balanda . Ensuite passé entraineur il sût maintenir ce qui fait sa force: L’objectivité et la bonne analyse. Il sait aussi apporter de la cohésion et j’ai vraiment eu de superbes moments de complicité avec lui. Il a su finaliser le boulot de Balanda en nous emmenant sur les plus hautes marches des coupes des nations, des championnats d’Europe et du monde. Je leur dois beaucoup et je regrette un peu cette rupture de pont qu’il y  a eu à l’époque entre ces deux hommes de talent.

Jumpinews: Mais c’est avec Henk Nören que vous semblez le plus en phase ?

Henk Nören

 Il est encore diffèrent, même si sur certains points ils sont indéniablement en accord…cela va de soi ! Henk  est  une compilation de toutes ces forces. L’expérience du haut niveau, la discipline dans l’organisation individuelle, la rigueur vers l’optimisation des talents, avec lui cela semble couler de source. Je ne sais pas vraiment expliquer d’où cela vient. Son charisme est à la hauteur de l’attention qu’il vous  porte. Il y a des gens avec lesquels ça passe mieux qu’avec d’autres même si vous les appréciez tous. C’est aussi une question de feeling  et ça  ne se commande pas…

 Jumpinews: Vous êtes aujourd’hui un pilier de l’équipe de France. Ce sentiment d’être incontournable n’est il pas pesant face aux autres cavaliers?

KS: Chacun son caractère et sa façon de voir mais il y a un très bon état d’esprit en équipe de France . Alors quand ça ne se passe pas bien comme en début d’année, c’est d’autant plus dur. Au-delà de la contre performance individuelle c’est tout le groupe qui en prend un coup à cause de vous. Et même s’ils m’ont tous formidablement soutenu durant cette période j’avais du mal à l’encaisser vis à vis d’eux !

Jumpinews: En ne prenant pas part aux championnats de France cette année, comprenez-vous que votre absence ait quelque peu troublé les esprits et écorché votre image ?

KS: Je le comprends tout à fait ; je l’accepte et m’en excuse auprès de tous ceux qui m’attendaient. Les championnats c’est l’événement national type. Je n’y est pas participé car c’était le seul moment de transition entre les concours extérieurs et les indoor. Ce n’était en aucun cas par désinvolture car j’adore ces épreuves qui ressemblent un peu à une grande réunion de famille ; c’est juste très mal tombé dans mon calendrier. Mes chevaux de tête avaient vraiment besoin de souffler et les autres étaient soit en soins,  soit pas prêts  pour ce genre d ‘épreuves. Faire les championnats ce n’est pas jouer les figurants. Tous y viennent pour aller au bout et essayer de décrocher le titre. On n’aurait sans doute pas plus apprécié que je vienne juste pour dire que j’y étais. Je comprends donc cette frustration  d’autant que la fédération avait ajusté au mieux les dates. Il aurait peut-être fallu que je m’exprime sur ce fait à l’époque…

Jumpinews: Votre principal bailleur de fond, Xavier Marie, annonçait récemment  la mise à disposition de certaines de vos montures à d’autres cavaliers. Après deux ans de partenariat avec le Haras de Hus votre situation est-elle remise en cause ?

KS: Remise en cause ? Oui  c’est certain mais sans pour autant tourner au drame. Je parlerais plus volontiers de restructuration, d’ajustement de nouveau cap. En 2 ans de partenariat avec monsieur Marie on peut dire que le côté sportif est honoré. Le côté commercialisation des chevaux l’est moins, en tous cas pas suffisamment au vu des objectifs fixés à l’époque. Je n’ai donc pas su tenir complètement mon contrat. Le haut niveau coûte cher. La partie commercialisation des chevaux devait équilibrer le budget.  Quand nous nous étions rencontrés pour définir les objectifs je m’étais sans doute un peu emballé sur les capacités de ventes liées aux résultats. Si la vitrine est belle ça aide mais  si le vendeur n’est pas là ou pas suffisamment  aguerri, le client passe sans acheter. Du coup monsieur Marie a préféré retirer certains chevaux pour les mettre à disposition de cavaliers plus à même selon lui de répondre  à ces objectifs.

Jumpinews: Votre contrat n’était donc pas que sportif mais aussi lié au commerce de chevaux. Pensez-vous que cela soit entièrement compatible avec le sport de haut niveau qui demande déjà tellement d’efforts ?

Je me rends compte que ce n’est pas facile …en tous cas pour moi ! Mon objectif principal qui m’a mené jusque là n’a pas varié : Etre et demeurer le plus longtemps possible  au top niveau. C’est ambitieux mais c’est  la compétition qui me motive. Le sport avant tout. Là est mon moteur ! Certes j’ai réussi quelques transactions mais de là à en faire du business c’est autre chose. Il faut aussi se rappeler qu’à mon arrivée je n’étais pas aussi fourni en chevaux qu’aujourd’hui. De ce coté là le système a superbement fonctionné et je me retrouve aujourd’hui à ne plus pouvoir monter tous les chevaux du haras. J’en avais donc confié un certain nombre à Frédéric Bouvard qui s’en est très bien occupé. Le hic, c’est qu’il n’est pas dans le circuit d’élite et cela ne convenait plus à l’objectif de monsieur Marie.

Jumpinews: En vous installant en Belgique vous évoquiez de meilleures dispositions pour la commercialisation des chevaux. Malgré le faible bilan de ces ventes, Xavier Marie confie des chevaux à des cavaliers belges. N’est-ce pas un peu paradoxal ? Ou bien est-ce une volonté de marquer le coup !

KS: Les décisions furent prises avant tout en fonction des chevaux et des disponibilités des cavaliers. Monsieur Marie s’est appuyé sur les avis de Gilles Botton qui est écuyer au Hus. Once de Kreisker (Papillon Rouge) est ainsi arrivé chez Philippe Lejeune et au vu des premiers résultats au CSI de Strazeele cela semble bien parti. Castronom de Hus (Carthago) est passé sous la selle de Gregory Wathelet. Il se retrouve avec un cheval de GP en moins depuis la vente de Cortes (à Beezie Maden) et il y a quelques similitudes dans le style entre Castronom et Kronos d’Ouilly. Ces deux cavaliers sont aussi plus disponibles pour le commerce …

 Jumpinews: Cela va-t-il impliquer une nouvelle organisation de vos écuries avec de nouveaux propriétaires ?

KS: Je ne voulais rien avancer tant que ce n’était pas dit. Le temps de la réflexion amène toujours plus de sérénité. Maintenant que monsieur Marie s’est exprimé sur ce sujet et qu’il maintient le pôle sportif de haut niveau à ma disposition je peux donc annoncer que pour ma part la compétition demeure ma priorité. Si les termes du contrat ont changé sur le plan commercial je suis ravi de son soutien sportif. Le Haras de Hus reste mon partenaire privilégié. D’un autre coté la porte est ouverte aux propriétaires ou investisseurs  qui souhaitent s’allier à mes projets. Je reste convaincu que le sport a besoin du commerce pour se maintenir à flot. Mon système  basé sur la valorisation des chevaux par la compétition pour être vendus sera maintenu via  mes installations à Ecaussinnes. Je continuerai à m’appuyer sur le savoir- faire de Fred Bouvard et Carlos Pinto. Pour l’instant il n’y a rien de plus  et j’ai laissé la primeur de l’annonce à monsieur Marie.

  Jumpinews: À  31 ans et dans un milieu qui ne semble pas, surtout  vu de l’extérieur, souffrir de la crise, ne vous sentez-vous pas dans un milieu privilégié?

KS: Il est vrai que vu de l’extérieur cela semble paradoxal. Les compétitions sont de plus en plus nombreuses et les dotations augmentent de concours en concours ! L’argent ne semble pas fuir notre milieu et c’est tant mieux !  Je ne suis pas pour autant dans ma bulle toute la journée et je suis les actualités avec attention. Je pense qu’il faut savoir rester au contact de la réalité  et être vigilant à ce qui se passe sans pour autant être obnubilé par ce qui pourrait arriver si… A toute crise il y a un remède mais il y aussi souvent une instrumentalisation des risques, une sorte de catastrophisme latent…

Jumpinews: Comme dans bien d’autres secteurs, la France du cheval souffre ! Doit on revoir l’organisation de la filière  face à nos concurrents européens qui semblent là encore tirer l’épingle du jeu? Pourtant nombreux sont les cracks issus de l’élevage français.

KS:  Cela résulte sans doute aussi du retard qu’on avait laissé s’installer. Les années 80/90 étaient porteuses et le sport de haut niveau menait la barque avec des Pierre Durand, Eric Navet , Michel Robert, Balanda , Bourdy, et bien d’autres. Ces performances reflétaient l’élevage français sur toutes les places internationales.  Il aurait fallu maintenir le cap et surtout ne pas s’endormir sur nos lauriers. La fédé a ensuite privilégié l’esprit club en favorisant l’accès à l’équitation aux plus jeunes. Ce fût aussi une bonne chose mais elle aurait dû aller de paire avec le haut niveau. Les instances ont redressé la barre depuis quelques temps ! Les éleveurs l’ont aussi bien compris et les restructurations et autres regroupements porteront leurs fruits. La France est une nation du cheval. Des évènements majeurs se profilent avec les Jeux Equestres Mondiaux en Normandie et les finales coupes du monde à Lyon. Cela va sans aucun doute booster les affaires. Restons confiant en aillant le bon oeil vers l’avenir!

Jumpinews:  Mis à part le coté purement sportif on vous voit un peu partout en ce moment ! Fraîchement nommé ambassadeur Rolex, vous avez créé votre propre ligne de vêtements (KS),êtes partenaire privilégié d’Equidia,  avez sorti un livre au titre évocateur« Kevin Staut, le cavalier d’acier ». Vous apportez un soin particulier à votre image ?

KS: Oui mais ce n’est pas par besoin mercantile ou d’auto-promotion. C’est avant tout le constat du manque de médiatisation de notre sport qui m’y a poussé.

 Jumpinews: Il est vrai que votre titre européen n’avait pas fait grand bruit à l’époque ! Pourquoi selon vous ?

KS: Le cavalier est encore trop éloigné des médias,  hors presse spécialisée et l’image de notre sport souffre de méconnaissance. Beaucoup voient ça  comme un sport de riches. Combien coute la formule 1, le foot et d’autres? Je pense qu’il y a aussi de la place pour l’équitation sur nos chaines françaises. Il faut mettre en avant nos particularités qui sont aussi notre force: La complicité avec le cheval, la technicité des parcours sans parler du nombre considérable de licenciés .Il faudrait que cela soit plus considéré chez nos médias ! De ce point de vue des pays comme l’Allemagne ou la Hollande ont aussi de l’avance! Je crois que  la Fédération a compris comment faire. Maintenant à nous cavaliers de jouer le jeu, en s’impliquant un peu plus, nous en ferons profiter tout le monde

 Jumpinews: S’ il reste encore de belles compétitions comme ce week-end à Genève et Londres qui sera citée olympique en 2012  l’année 2011 se termine mieux qu’elle n’a commencé! Comment abordez-vous 2012 et cette échéance des JO ?

KS:  Je vais déjà essayé de bien conclure. Les Gucci Masters se sont bien passés avec un très bon retour en piste de Silvana de Hus dans le Grand prix. Genève est un de mes concours préféré et ma victoire dans le GP de l’an dernier fut un grand moment.Après et même si ce n’est que dans 8 mois ,c’est vrai que j’e pense déjà sérieusement à l’an prochain car tout doit être étudié suffisamment à l’avance. J’ai ainsi déjà choisi les deux chevaux qui devraient aller à Londres afin de les préserver cet hiver et de bien les préparer pour cette échéance. Maintenant nous savons aussi ô combien tout cela est fragile et que l’on n’est jamais  à l’abri d’un pépin.

 Jumpinews: Peut-on alors déjà savoir de qui il s’agit ?

KS:  Bien sur; Silvana et Zeta de Hus.

Jumpinews: Zeta de Hus c’est un peu la révélation  ?

KS: Effectivement. Elle présentait de gros moyens mais manquait de foncier. Elle est aussi délicate que respectueuse et puissante. C’est souvent le cas pour les très bons chevaux. Cette année elle s’est vraiment épanouie. Je l’adore et mise à niveau elle pourrait bien être ma jument de tête l’an prochain… 

Jumpinews: Votre dernière recrue Nangaye de Kergane semble être aussi prometteuse ?Et que devient Kraque Boom ?

KS: Effectivement Nangaye s’adapte très vite.Elle  a de l’intelligence, du respect et malgré sa petite taille elle développe une superbe foulée.Kraque Boom est à la maison où il est au travail d’entretien. Il reprendra la saison en extérieur début de l’année prochaine. 2011 n’était pas son année…Mais là il retrouve toute sa forme .Nous allons sans doute de paire !

Jumpinews: Avec une telle activité y a t-il encore de la place pour une vie  privée pour Kevin Staut ? Comment voyez-vous l’avenir de ce coté là ?

KS: J’avoue ne pas trop y songer.  Je partage ma vie avec Pénélope Leprevost et c’est une vraie chance de partager aussi ses passions. L’un comme l’autre y trouvons notre équilibre et pour le moment cela me va très bien comme ça. Ce sport c’est mon moteur, ma passion. Je pourrais même dire que c’est ma vie. Coté famille…J’ai encore le temps!

Jumpinews: Et si vous aviez quelque chose à rajouter ?

Je vis ma passion et c’est formidable. Je sais que c’est aussi une chance et cela est encore plus beau quand ce plaisir est partagé. Je voudrai donc  remercier tous ceux qui au fil des concours et des évènements me soutiennent, m’encouragent par un sourire, un petit message et même si je ne réponds pas toujours, je sais que c’est énervant, qu’ils sachent que je ne les oublie pas et que tout cela compte beaucoup pour moi.