Gilles Bertran de Balanda
31 août 2017Son point de vue sur les championnats .
Toujours aussi impliqué dans le sport de haut niveau auquel il contribue au quotidien via son académie équestre et les stages de perfectionnement qu’il dispense de par l’Europe, Gilles Bertran de Balanda nous a confié son point de vue sur les résultats des championnats d’Europe de Göteborg.
Un coup de coeur pour les championnats.
De toutes les compétitions, j’avoue avoir une prédilection, un vrai coup de coeur pour les championnats, qu’ils soient nationaux, européens ou mondiaux. C’est un challenge qui ne laisse que peu de place à l’à-peu-près et qui demande une véritable préparation en amont.
Chaque étape apporte son lot de suspens et de surprises, mais une fois encore, nous avons eu droit à de belles épreuves avec un chef de piste (le néerlandais Louis Konickx — NDLR) qui a su élaborer des parcours au plus juste, alliant technicité et subtilités, sur des cotes à la hauteur des forces en présence.
Je n’étais pas sur place et il est évident qu’à la télévision, on n’a pas le même ressenti qu’en bord de piste, mais la vision et l’analyse des parcours y sont souvent plus aisées, d’autant plus qu’on peut les revisionner.
Partisan du renouveau.
En cette année 2017 que l’on peut qualifier de transition entre Rio et les prochains J.O. (2020 à Tokyo/NDLR), beaucoup de chefs d’équipes en ont profité pour apporter de nouveaux éléments à leur groupe.
C’est une très bonne chose, car même si les enjeux restent à la hauteur de l’événement, ces périodes permettent d’initier au sein d’un groupe confirmé des cavaliers moins aguerris à ce genre d’épreuve. Si l’on veut évoluer, il faut bien un moment permettre à la relève de s’exprimer et je suis un fervent partisan de ce genre d’initiative.
Certes, les choix sont délicats et les sélectionneurs n’ont pas toujours la tâche aisée, car on ne satisfait jamais tout le monde, les places étant limitées. Mais qui ne risque rien …
Le coup de maître de Rodrigo Pessoa
Les résultats par équipe ont apporté leurs lots de surprises, même si vu les groupes, on pouvait s’attendre notamment à de bons résultats des Irlandais.
Leur victoire, c’est aussi la réussite de Rodrigo Pessoa qui a su apporter son savoir-faire, alliant la rigueur aux méthodes de travail, tout en favorisant la complicité entre coéquipiers. En gagnant le titre d’entrée de jeu, il a réussi un coup de maître. Et en toute humilité. Car je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais pas de Rodrigo en gros plan à la télé lors des parcours de ses équipiers ni de personnages plus ou moins qualifiés en la matière, qui se tiennent au plus près en gesticulant pour bien faire voir qu’ils sont là ! Rien de tout cela. Juste lui et ses cavaliers.
Il a beau être une star dans le métier, Rodrigo Pessoa a su préserver une certaine intimité au groupe pour limiter la pression et ainsi mieux appréhender ces championnats. Ce qui ne l’a pas empêché d’apprécier ensuite pleinement la victoire lors d’un vrai moment de bonheur partagé!
La Suède n’a pas démérité!
Devant son public, l’équipe suédoise était forcément plus soumise à cette pression. On en a senti quelques-uns plus fébriles et c’est normal. S’il a connu un parcours de chasse délicat, Henrik Von Eckermann remettait les choses en ordre en coupe des nations. Ensuite, la maitrise de Peder Fredricson permet de rattraper les déconvenues de Malyn Baryard-Johnson et de Douglas Lindelöw. Ils ont eu de la chance dans leur malheur, mais avec les résultats de la première manche, leur médaille d’argent n’est pas déméritée.
Coup de chapeau aux Suisses!
Quant à la Suisse? Chapeau bas ! Elle a manqué d’un brin de réussite, mais on a vraiment senti que chaque cavalier voulait faire de son mieux pour ramener une médaille. Dans le lot, Martin Fuchs s’est vraiment surpassé avec Clooney. Il manque sa fin de compétition et il méritait mieux, mais l’abnégation est sans doute une qualité qui prévaut en Suisse. Son père, Thomas Fuchs en est un bel exemple!
Vraiment dommage pour Staut!
Côté français, on a eu droit au chaud et au froid. Kevin Staut a fait du très bon boulot sur les deux premiers tours.Malheureusement, sa faute sur le troisième obstacle de la seconde manche l’a mis en difficulté avec Rêveur et ils terminent loin de la place qu’ils méritaient. C’est vraiment dommage, car je pense que Kevin Staut avait sa place sur le podium.
Pour Roger-Yves Bost, ce fut plus délicat et je n’ai pas tous les éléments pour comprendre ce qui n’a pas collé. Après une chasse somme toute correcte, il entame difficilement la coupe en sortant avec deux fautes et du temps.
Mais une fois encore, il a su sortir le grand jeu et son ultime tour tient de l’exploit. Du grand art ! Du très grand Bosty. J’en ai eu des frissons! Dommage que cela n’ait pas suffi pour redresser l’équipe.
Pour ses premiers championnats d’Europe, Mathieu Billot s’en sort honorablement en concluant sur un bon parcours en seconde manche avec Shiva d’Amaury.
Quant à Pénélope Leprevost, je ne sais pas trop ce qui s’est passé avec Vagabond de la Pomme… Là aussi, je n’ai pas tous les éléments et je me garderai bien de toute discorde. Elle a manqué ses championnats, voilà tout.
Mais cela ne remet pas en cause son talent et vous savez, par le passé d’autres pointures ont connu bien des malheurs et pourtant l’équipe a brillé.
Pour exemple, l’Irlande gagne cette année sans Bertram Allen comme l’Allemagne remportait le titre à Mannheim en 2007 sans Marcus Ehning, malheureux comme jamais avec la délicate Küchengirl.
Cette année, il fut avec Philipp Weishaupt et son puissant LB Convall, l’un des piliers de l’équipe qu’ils réussissent à hisser à la 5e place. En embuscade, Ehning était encore dans le coup pour conclure dimanche sur une 6e place en individuel avec Prêt à Tout.
Andy Kistler peut être fier de ses Suisses!
Outre la belle performance de Martin Fuchs, la Suisse s’attendait sans doute à mieux avec Steve Guerdat et Romain Duguet, mais là aussi, un brin de malchance et les espoirs s’évanouissent. Reste que pour ses premiers championnats et malgré son manque d’expérience avec son cheval à ce niveau, Nadja Peter Steiner n’a pas démérité non plus. Les Suisses ont vraiment un bel état d’esprit et malgré quelques contre-performances, leur chef d’équipe Andy Kistler peut en être fier.
Ceux qui doivent avoir le plus de regrets, ce sont sans doute les Belges, car, franchement, je les voyais bien sur le podium. Quand en première manche vous êtes les seuls à aligner quatre sans-faute et que vous manquez la troisième marche pour moins d’un point…C’est vraiment frustrant! En individuel, Peter Devos (5e) n’est pas loin non plus du trio de tête avec son bon Espoir.
Fredricson: La Grande Classe!
Un podium auquel Peder Fredricson a su porter toute sa classe. Un cavalier aussi discret qu’efficace, aussi élégant que travailleur et toujours à l’écoute de ses chevaux.
Après sa médaille d’argent aux J.O de Rio avec All In, il est passé par les plus sombres moments quand son cheval est tombé gravement malade l’hiver dernier.
L’histoire aurait pu très mal se terminer ! Elle finit de la plus belle manière avec un titre européen qui résonne comme une consécration, pour ne pas dire une résurrection tant la performance est hors du commun.
Cette victoire, Fredricson et son cheval sont allés la chercher au bout d’un ultime round au cours duquel leurs adversaires avec encore su relever le suspens.
Cian O’ Connor pouvait s’imposer
J’avoue, j’aurai bien misé sur une victoire de Cian O’Connor, car avec son expérience dans ce genre d’épreuve et les moyens de son extraordinaire Good Luck, le duo irlandais pouvait s’imposer.
Mais Harrie Smolders n’a rien lâché non plus et son Don VHP Z aligne encore un sans-faute de haute précision. Le titre lui échappe d’un demi-point, c’est dire le niveau. Franchement, il y a eu du grand sport dans cette finale et c’est tout l’attrait de ce genre de compétition. Tout est possible, jusqu’au bout.
Je reste attentif !
Je reste aussi attentif à l’évolution des règlements qui mettraient en péril ce genre d’épreuves. Comme le démontrent les résultats, des équipes à trois cavaliers auraient pu complètement chambouler le classement. Imaginez une équipe d’Irlande avec Bertram Allen dans le lot, ou la prise en compte du résultat de Malyn Baryard Johnson…Favoriser l’entrée de cavaliers de nations dites « émergentes » je suis pour. Mais pas au détriment du sport et encore moins du bien-être des chevaux. Réduire les équipes pour faire entrer des nations qui n’auraient pas le niveau de ces épreuves n’a pas de sens. Il faut réfléchir à un système d’ouverture permettant à des talents internationaux de s’exprimer, mais non pas sans passer par des qualifications qui permettent de confirmer le niveau d’équitation nécessaire.
Si dans des nations moins aguerries en coupe des nations on a pu apprécier certains couples comme Emma Augier de Moussac avec sa Diva, ou António Matos Almeida avec son jeune étalon Epicor da Gandarinha, on a aussi eu droit à quelques parcours scabreux de cavaliers dont on se demande comment ils sont arrivés là et dont je tairai le nom pour ne pas être désobligeant. Ce n’est pas le but. C’est juste un constat. Je pense qu’il faut rester vigilant à l’avenir de nos compétitions, savoir garder le cheval au centre de l’intérêt de notre sport tout en favorisant la diversité pour convenir à un plus large public. Mais sans pour autant laisser croire que c’est facile.
Certes l’aisance des champions laisse à penser que le cheval fait tout et cette illusion est d’ailleurs le meilleur signe de la qualité d’un cavalier.
Mais aujourd’hui, comme hier et, espérons -le, comme demain, rien ne remplacera les heures d’entrainement, le travail au quotidien pour obtenir dans l’effort mesuré, la complicité fondamentale qui vous mène aux meilleurs résultats avec votre cheval. Les vrais champions sont de ceux-là !
En tout cas, pour ceux qui perdurent… Mais notre sport est sans doute le plus bel exemple de longévité possible pour un sportif de haut niveau.Certes, il faut autant de passion que d’abnégation. Pour y parvenir, les moyens financiers sont sans doute essentiels pour perdurer, mais seul le temps que vous y consacrerez sera votre allier pour vous aider dans vos efforts. C’est souvent long et pas toujours payant aux premiers coups.
Alors, dans cette époque ou tout va très vite, voir trop vite, il faut apprendre à retrouver certaines valeurs et se donner du temps pour bien faire. Remettre chaque jour le cœur à l’ouvrage quelques fois dans la contrainte d’une certaine répétition et l’ingratitude de certaines tâches, pour ensuite parvenir dans la douceur, le calme et l’exactitude, au résultat sublimé par une victoire qui n’est pas forcément la première marche au podium.
C’est ce que j’essaie encore de faire, mais aussi d’inculquer, à ceux, jeunes ou moins jeunes, qui ont pris conscience de tout cela et qui me rejoignent à l’académie ou qui me demandent conseil. Toutes générations confondues, il y a encore de vrais cavaliers, de ceux qui en veulent et qui chaque matin remettent le pied à l’étrier en s’efforçant de bien faire. Pour différentes raisons (argent, chevaux, famille) certains arrivent à percer plus vite que d’autres. Mais le talent ne s’achète pas, il se perfectionne. Il n’a pour coût que les litres de sueur que l’on voudra bien verser.
Mais croyez-moi, pour ceux qui en veulent vraiment, ça en vaut la peine. Vivre de sa passion ce n’est pas facile, mais ça n’a pas de prix ! C’est une vraie chance quand on peut le faire ! Demandez donc à tous ces champions qui se lèvent tous les matins pour rejoindre leurs chevaux…
Malgré tous les efforts que cela implique, ils n’échangeraient leur place pour rien au monde.
Je conclurai en disant qu’on a eu droit à de beaux championnats, ponctués par de belles séquences d’émotions telles que le sport de haut niveau peut nous les procurer avec des cavaliers et des chevaux d’exception. Des champions confirmés qui ont su défendre leur place et des espoirs à l’avenir bien prometteur que je suivrai avec attention.
Alors, suite au prochain épisode…
Gilles Bertran de Balanda
Propos recueillis par Ch. GERHARD pour Jumpinews.com
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